Page:Edgar Poe Arthur Gordon Pym.djvu/144

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lâchât son projet, de le différer au moins jusqu’à un autre jour, puisque quelque navire pouvait encore venir à notre secours ; je repris tous les arguments qui me vinrent à l’esprit, et ceux que je présumai bons pour influencer une rude nature comme la sienne. Il me répondit qu’il avait attendu, pour parler de cela, aussi longtemps que possible, — jusqu’à l’instant suprême ; qu’il ne lui était pas possible de vivre sans un aliment quelconque ; et, conséquemment, que son idée, renvoyée à un autre jour, viendrait trop tard, — du moins en ce qui le concernait.

Voyant que rien ne l’émouvait et que je ne pouvais pas le prendre par la douceur, j’usai d’un ton différent, et je lui dis qu’il devait savoir que j’avais souffert moins qu’aucun d’eux de toutes nos calamités, que j’étais donc en ce moment bien supérieur en force et en santé, non-seulement à lui, mais même à Peters et à Auguste ; bref, que j’étais en mesure d’employer la force si je le jugeais nécessaire ; et que, s’il essayait d’une façon quelconque de faire part aux autres de son affreux projet de cannibale, je n’hésiterais pas à le jeter à la mer. Là-dessus, il m’empoigna immédiatement à la gorge, et, tirant un couteau, il fit quelques efforts inutiles pour me frapper à l’estomac, atrocité que son extrême faiblesse l’empêcha seule d’accomplir. Cependant, monté à un haut degré de colère, je le poussai jusqu’au bord du navire, avec la ferme intention de le jeter par-dessus bord. Mais il fut sauvé de sa destinée par l’intervention de Peters, qui s’approcha et nous sépara, demandant le sujet de la querelle. Parker le lui dit avant que j’eusse trouvé un moyen de l’en empêcher.