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ses vingt printemps aux soixante-neuf hivers du député-maire. On comprend qu’après ces dix années d’une union si disparate le comte soit devenu presque complètement gâteux.

La ville aurait pu jaser… Mais il n’y avait rien à dire contre la comtesse. Elle était sortie du couvent pour convoler en justes noces avec l’homme qui aurait pu être son grand-père, mais elle était restée un modèle de vertu.

Aussi sobre dans sa toilette que réservée dans son attitude, elle donnait le ton aux dames de la ville. Très dévote, elle était donnée en modèle.

À peu près tous les mois, elle se retirait dans un couvent pour faire une retraite de plusieurs jours. Ces retraites étaient même devenues de plus en plus longues et de plus en plus fréquentes, si bien que nul ne doutait qu’elle n’entrât définitivement en religion à la mort de son podagre époux.

Or, le couvent où Mme de La Roche Pelée s’en allait ainsi « se purifier » était fort éloigné de Château-du-Lac. C’était celui où elle avait été élevée, au fond de l’Auvergne.

Précisément, lorsque le nouveau sous-préfet arriva à Château-du-Lac, la comtesse était en train d’accomplir une de ces retraites.

Le comte était seul dans le vieil hôtel familial.

Et cela l’ennuyait beaucoup. Car, moins que tout autre, il ne pouvait se faire une opinion en l’absence de la comtesse.

Celle-ci arriva deux jours plus tard. Toute la ville l’attendait impatiemment. D’elle dépendait le sort du sous-préfet. Celui-ci avait été prévenu et il n’était pas moins anxieux que ses administrés de connaître le phénomène de vertu extraordinaire qu’était Isabelle de La Roche Pelée, née de Puyprofonds.

En débarquant la comtesse était vêtue de noir comme toujours, le visage couvert d’une voilette à gros pois qui dissimulait presque les traits (c’était un principe chez elle qu’une femme honnête doit éviter de montrer son visage) ; une robe très montante emprisonnait sa gorge (la comtesse ne pouvait souffrir « l’outrageux décolleté de la mode parisienne »).

Elle monta dans le coupé fermé qui l’attendait à la gare et une demi-heure plus tard, elle était auprès de son mari.

— Eh bien ! Isabelle ? lui dit celui-ci. Êtes-vous satisfaite de votre voyage ?

— Très satisfaite, mon ami. J’ai purifié mon âme et mon corps auprès de ces bonnes mères. Et la mère supérieure m’a fait cadeau d’un scapulaire, béni par notre Saint Père le Pape, qui ne quittera plus ma poitrine.