Page:Edmond-Mandey-Un-tour-de-cochon-1924.djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 20 —

de l’article parlait d’elle en disant que « son cas relevait de la pathologie », ajoutant que cette jeune femme trop vertueuse était certainement atteinte d’hystérie religieuse, ce qui n’avait rien d’étonnant « son mari étant trop vieux pour lui faire connaître les joies salutaires d’un amour naturel ».

Mieux, le docteur Rabaud invita le sous-préfet à venir le voir chez lui et l’assura de son appui.

Edgard Dumoulin accepta d’autant plus volontiers la sympathie du docteur que celui-ci avait une fille de vingt ans, prénommée Agnès, qui fit la plus profonde impression sur l’ex-ami de la belle Éléonore.

Agnès était délicieusement fraîche et jolie, elle avait une dot assez convenable. Et, ma foi, le sous-préfet oublia complètement Éléonore, bénissant même les circonstances qui l’avaient conduit à Château-du-Lac.

La belle Éléonore pouvait attendre longtemps le retour de son amant. Celui-ci ne se préoccupait plus d’elle.

Quant à la comtesse, la guerre civile allumée dans la ville par ses soins n’avait fait que stimuler son zèle. Vainement avait-on essayé de la calmer. Elle avait répondu à toutes les démarches conciliatrices par une fin de non-recevoir absolue.

Dumoulin lui avait bien fait dire qu’il se présenterait chez elle et que, si elle voulait le recevoir, il la convaincrait et lui démontrerait qu’il n’était pas du tout l’homme qu’elle supposait. Mme de La Roche Pelée jeta les hauts cris, en disant :

— Il a osé demander à être reçu par moi ! Mais rien que sa présence souillerait ma demeure. Je ne veux pas plus le recevoir que le rencontrer. Je veux qu’il quitte Château-du-Lac avant que le château des La Roche Pelée, qu’il occupe indûment, n’ait été transformé par lui en lupanar.

Le mot avait fait le tour de la ville. On se le répétait. C’était le cri de guerre de la comtesse.

Lorsqu’on apprit à celle-ci que le docteur Rabaud était sur le point de fiancer sa fille au sous-préfet, la rage de la vertueuse Isabelle ne connût plus de bornes.

— Si ses parents sont égarés, déclara-t-elle, cette malheureuse jeune fille ne doit pas être ainsi offerte en victime. Non, non. Il faut lui ouvrir les yeux, lui faire comprendre que ce suborneur est indigne d’elle.

Et, ne voulant pas se rendre elle-même chez le docteur, elle avait chargé de cette mission délicate une vieille demoiselle qui jouait de l’orgue dans une église de la ville et se trouvait être, par une heureuse coïncidence, le professeur de piano de Mlle Agnès Rabaud.

Mais la fille du docteur avait fort mal reçu les conseils de l’envoyée de la comtesse, et celle-ci avait murmuré en apprenant cette déconvenue :