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— Ah ! Elle ne veut pas nous écouter ! Eh bien ! Elle va voir ! Elle va voir !

Or, un soir, comme la comtesse sortait de l’église où elle venait d’assister au salut, elle montra à ses amies une voiture de place qui se dirigeait par une rue écartée vers le château.

— Qu’est cela ? dit-elle. Cette voiture qui vient de la gare amène peut-être une visite à notre sous-préfet. Il faut la suivre.

Et, donnant l’ordre à son cocher de filer la voiture mystérieuse, Isabelle de La Roche Pelée se fit accompagner d’une de ses plus dévouées collaboratrices, Mlle Cunégonde Dondurrand qui était d’autant plus enragée dans la lutte contre le sous-préfet qu’elle était parvenue à sa cinquantième année sans qu’aucun homme, jeune ou vieux, lui eût jamais manqué de respect.

La voiture s’arrêta devant l’hôtel du Vieux Castel, qui était situé précisément derrière la sous-préfecture. Et les deux femmes en virent descendre une jeune inconnue d’une rare élégance.

— Regardez !… Regardez donc !… disait la comtesse.

La voyageuse, dont l’obscurité empêchait de distinguer nettement les traits, était vêtue d’une grande capeline, mais comme elle écartait celle-ci, elle laissa apparaître une toilette d’un vert éclatant, robe de soie largement décolletée, de laquelle émergeaient deux bras nus jusqu’à l’épaule.

— Oh ! C’est impudique ! fit Mlle Dondurrand.

— Laissez-moi, chère amie, répondit la comtesse. Ma voiture va vous reconduire chez vous. Moi, je vais rester ici pour voir ce qui se passera. Vous direz seulement à mon cocher de revenir m’attendre dans la rue du Haut-Pavé qui donne de l’autre côté de la sous-préfecture.

« Et demain, je vous rendrai compte de ce que j’aurai vu.

Ce soir-là, M. Edgard Dumoulin, sous-préfet de Château-du-Lac, était l’homme le plus heureux du monde. Il aurait volontiers envoyé sa carte de visite avec ses remerciements émus à M. et Mme Couillard pour avoir provoqué sa nomination. Il venait, en effet, après un dîner chez le docteur, d’être agréé officiellement comme fiancé de Mlle Rabaud, qui avait reçu, sur sa joue gauche, en rougissant, le chaste baiser des fiançailles.

L’image de la jolie Agnès emplissait son esprit et, rentré chez lui, il songeait, en passant dans sa chambre à coucher, aux joies futures de la nuit nuptiale avec la fille du docteur…