Il faut dire que le sous-préfet n’avait mélangé la veille aucun narcotique à son tilleul.
Agénor s’éveilla, disons-nous, et se dressa sur son séant, la bouche ouverte pour crier : Au voleur ! certain qu’on voulait cambrioler le précieux dépôt confié à sa garde.
À la vue d’Éléonore, il poussa à son tour un cri de surprise, devint rouge comme un coq et s’écria :
— Une femme !… Une femme en chemise !
Après quoi il se replongea sous ses couvertures.
Malgré les circonstances graves dans lesquelles elle se trouvait, Éléonore ne put s’empêcher de rire.
— Comment, s’écria-t-elle, je vous fais peur ?
« Vous n’avez donc jamais vu de femme en chemise !…
— Non, Madame, jamais, je le jure… Je suis un jeune homme sage…
— Vraiment ! s’exclama Éléonore…
À un tout autre moment, la jolie fille eût certainement prolongé un entretien commencé de façon aussi pittoresque.
Mais elle n’oubliait pas Edgard.
Et, tout à coup, la présence d’Agénor dans cette chambre, la précipitation avec laquelle le sous-préfet l’y avait introduite, tout cela fut pour elle comme un trait de lumière.
— Est-ce que je serais roulée ? pensa-t-elle.
Elle bondit vers la porte, tandis qu’Agénor interdit, la regardait sans oser prononcer une parole.
Mais ce fut en vain qu’elle essaya d’ouvrir.
Elle frappa, appelant :
— Edgard ! Edgard !…
Peine perdue ! Edgard ne répondit pas.
— Attendez ! dit Agénor, je connais le moyen de faire venir quelqu’un. Il y a un revolver là, dans le tiroir. Je vais tirer.
— Non. Non. Ne tirez pas !… Nous sommes tombés dans un guet-apens. Il vaut mieux essayer de nous en tirer par la ruse.
« D’abord, dites-moi, monsieur, qui êtes-vous ?
— Agénor Trident.
— Ah ! Vous êtes le jeune attaché au secrétariat du sous-préfet.
— J’ai cet honneur, oui, madame. Mais… vous-même ?
— Moi ?… Je suis l’amie du sous-préfet.
— Pas possible !…
Et le pauvre Agénor ouvrait des yeux étonnés.
— Je m’appelle Éléonore !
— Ah !
— Et pourquoi couchez-vous ici ?