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— Par exemple !… par exemple !… rugit-il. Cette fille va trop loin… Vous entendez, monsieur, vous entendez, elle va trop loin… Ça ne va pas se passer comme ça…

Edgard, qui jusque-là était resté calme, se décida enfin à prendre la parole.

— Voyons, monsieur, ne vous fâchez pas. Tout ça, c’est des blagues ! Ces dames s’amusent. Nous nous amusons tous. Il vaut mieux prendre les choses à la rigolade.

— Pas du tout, monsieur, pas du tout !

D’en bas, c’est-à-dire du sol, une voix perçante appela :

— Joseph ! Joseph ! Laisse donc ces gens-là !

C’était la grosse dame qui interpellait ainsi son mari.

Mais celui-ci n’eut pas le temps de regagner la terre ferme, car le manège se remit à tourner, à la grande joie d’Éléonore et de ses amies qui entourèrent Joseph, l’enlevèrent et le calèrent de force sur un cochon.

Le malheureux — l’était-il autant que cela ? — dut faire ainsi un tour en maugréant extérieurement, car au fond il est bien certain que si sa femme n’avait pas été là, si, à chaque tour, il ne l’avait pas aperçue levant les bras au ciel, ce brave homme eût goûté le plaisir d’être entouré par un essaim de jolies filles qui le pinçaient, le chatouillaient, lui tiraient les cheveux et les favoris ou lui caressaient le visage avec leurs balais de soie…

Mais il était obligé de se mettre en colère.

Et il le fit bien voir en descendant.

— Ça ne se passera pas comme ça, hurla-t-il, ça ne se passera pas comme ça !… Vous allez voir à qui vous avez à faire.

— C’est une indignité ! s’écriait la grosse dame aux jupes de laquelle la petite fille s’accrochait en pleurant.

La foule s’ameutait. Un agent, deux agents survinrent.

L’un d’eux, qui portait sur sa manche le galon de sous-brigadier, interpella le vieux monsieur :

— Qu’est-ce que vous avez, vous, là, à faire du scandale ?

— Du scandale ! monsieur l’agent !… Ce n’est pas mon mari, ce sont ces créatures qui en font avec leurs amis ! intervint la grosse dame.

— C’est bon ! c’est bon ! venez vous expliquer au commissariat !

Et tout le monde s’en fut derrière les agents, le vieux monsieur, sa femme, sa petite-fille, Éléonore et ses compagnons, voire même une foule de badauds qui, d’ailleurs, virent brutalement se refermer à leur nez la porte du poste de police ; après quoi, avec la ferme urbanité qui les caractérise, les agents les invitèrent à se retirer.

— Allons, vous autres, circulez !… Qu’est-ce que vous f… là ?