Page:Edmond-haraucourt-la-decouverte-du-docteur-auguerand-1910.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Pendant que ces manœuvres occupaient la coulisse officielle, la rue se démenait. À 8 heures 37, Thismonard arriva, essoufflé, à la clinique de Neuilly ; il entra en bombe dans le cabinet du docteur et jeta sur la table un paquet de journaux.

— Ouf ! Quelle échauffourée ! J’ai mis trois heures pour arriver ici, et je n’y serais pas si je n’avais eu l’idée de tourner par Suresnes.

— Il y a tant de monde ?

— Fantastique ! Tu as pris tes mesures ?

— Je le crois ; on s’est arrangé pour le mieux.

— Ton calme me fait plaisir. Alors, tu es prêt à tout ?

— Dame ! Tu m’en demandes trop : j’ai cherché les dispositions les meilleures, et l’affaire n’était pas commode ; en rentrant de l’Élysée, hier soir, après le banquet, je me suis attelé à la besogne ; j’ai travaillé toute la nuit. Nous aurons dix buvettes, et de l’élixir pour deux mille personnes environ. Un premier jour, tu m’avoueras que ce n’est pas mal. Demain, on fera mieux.

— Que me chantes-tu là ?… Demain ! Qui te parle de demain ? Il s’agit d’aujourd’hui, qui n’aura pas de lendemain ! Tu as lu les journaux, pourtant ?

— J’en avais bien le loisir…

— Et tu ne sais rien de ce qui se passe dans Paris ?

— Ma foi, non. Qu’y a-t-il ?

— L’émeute, ou la révolution, peut-être !

— Bah ! En l’honneur de quel saint ?

— De toi, malheureux !

— De moi ?

— Écoute la rue, espèce d’Archimède ! Tu ne l’entends donc pas, la rue ?

— J’ai vu, cette nuit, les sans-travail qui faisaient queue devant la grille, sans doute avec l’espoir de vendre leur rang à des bourgeois cossus : ils ont échangé quelques coups de revolver pour agrémenter les ténèbres.

— Ne ris pas ! Ce n’est pas le moment, et dépêche-toi de comprendre. Tout Paris est sur pieds. La grève hémérale est déclarée. On ne veut pas de l’élixir, on ne veut pas de la longévité, on ne veut pas de toi !