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mière, au lieu de monter chez la servante, ne se rendit plus simplement à la chambre conjugale. Dans ce cas, tout était perdu, car il était évident que l’hôtelier, trouvant dans son lit même la personne qu’il allait chercher ailleurs, n’eût pas résisté à la tentation. Si bien que dame Jeanne, en proie à toutes ces réflexions, se demandait si vraiment elle avait eu raison de troquer son lit contre celui de la servante.

Elle avait également plusieurs fois arrangé les rideaux de la fenêtre afin que la pièce fût entièrement plongée dans l’obscurité. C’était là un point capital, car il ne fallait pas, à aucun prix, que son mari la reconnût.

Elle ne se dissimulait pas que son rôle était difficile à jouer, car maître Honoré s’étonnerait peut-être qu’elle ne parlât pas et qu’elle voulut ainsi rester dans l’ombre. Mais Jeanne s’était dit :

— Je lui parlerai à voix basse, juste pour lui dire que j’ai honte et que c’est pour cela que je tiens à la nuit. Il ne pourra certainement rien dire.

Pour la dixième fois peut-être, l’hôtelière allait coller son oreille à l’huis entr’ouvert. Mais ce ne fut pas en vain. Elle sentit son cœur battre plus fort :

— Il monte. J’entends ses pas dans l’escalier. Vite, allons nous recoucher. Et n’oublions pas que je suis la servante… Oh ! Je ne sais pas si j’aurai le courage de résister à la tentation de l’étrangler, ce traître, quand il va me serrer dans ses bras en me prenant pour Adèle !…

Mais les pas se rapprochaient. Vite, elle s’alla recoucher, et fit semblant d’être endormie, ce qui lui sembla la meilleure tactique, puisqu’elle lui permettait d’entendre et d’écouter sans avoir besoin de répondre ou de manifester sa présence.

La porte enfin s’ouvrit.

Dame Jeanne, toute tremblante de colère, perçut les pas de l’homme sur le parquet.

— Il est là, près de moi… se dit-elle… Que va-t-il me dire ?

Mais elle fut stupéfaite. Celui qu’elle prenait pour son mari ne prononça pas une parole. Pour nous, qui savons que le nouveau venu était le notaire amoureux, cela ne nous étonnera pas, car il avait, lui aussi, décidé de parler le moins possible, afin que sa voix ne le trahît point.

Entre ces deux personnes, décidées à ne point converser, la situation était étrange. Ajoutons d’ailleurs qu’elles avaient également la même raison pour ne pas éclairer la chambre.