Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/152

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trouva des taillis et des drèves qui le protégèrent contre les ardeurs du soleil. Le front ruisselant, il marchait d’un pas alerte, son bonnet de police à la main. Il portait sur l’épaule, au bout d’un cep taillé en route, son paquet noué dans un foulard rouge. Aux cabarets des barrières et des carrefours, il lampait un quart de bière, échangeait quelques gaillardises avec la servante, si elle était digne de cette attention, puis repartait joyeusement. Vers le midi, après avoir traversé ou côtoyé quatre villages, une lieue encore le séparait de Wildonck, de son vieux père et de Begga. Comme il évoquait l’image radieuse et saine de la fraîche promise, voilà que le souvenir du mauvais rêve de la nuit lui revint et aussi celui de la perte du canif. Damné canif ! Kors ne peut séparer l’idée de Begga de celle du cadeau égaré et, par une inscrutable contradiction de la nature humaine, il en veut presque à la pauvre fille de lui avoir acheté cette jambette devenue fatalement un objet d’achoppement pour leur amour. Et il s’entêta de plus en plus dans cette conviction peu généreuse. Sa préoccupation était telle qu’il négligeait de s’orienter. À un moment, il remarqua qu’il s’était égaré.

Il allait traverser un pont jeté sur le canal de la Campine ; or, ce pont n’entrait pas dans son itinéraire. Au-delà, les arbres du chemin s’alignaient à l’infini. Entre leurs fûts, on apercevait des deux côtés de vastes prairies enclavées dans la bruyère immense, mélancolique, pourpre et voilée de gaze. Soudain il avisa dans les prés en contrebas des berges du canal quatre belles vaches, de l’herbe jusqu’au ventre, et non loin d’elles