Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/180

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— Où vas-tu travailler encore ? lui demandai-je en remarquant son équipement. Il se fait tard. Un convalescent affronte à tort le serein.

— Travailler ! dit-il en éclatant de rire. Il s’agit bien de travail ! J’ai simplement voulu donner le change aux anciens et prétexté un auvent a rattacher chez le secrétaire…

Et il se disposait à enfiler un sentier de desserte conduisant à la Montagne-aux-Cigales. Je devinai qu’il se rendait auprès de Véva Mollendraf et crus devoir l’avertir que celle-ci, sachant pourquoi les sicaires du charron l’avaient assommé, ne ferait pas grand accueil à l’heureux rival de Mil Severd.

— Je la connais mieux, fit-il, toujours réjoui. Elle comprend que Fine Wouts ne fut qu’une amusette passagère et qu’elle, Véva, demeure la plus aimée des bien-aimées. Véva m’appelle ; il est besoin, m’écrit-elle, de nous voir ce soir…

— Mark, prends garde à toi ! Si les Mollendraf, ayant appris ce que chacun répète au village, te traitaient comme la bande de Mil Severd !

Je voulus le retenir, incité par je ne sais quelle appréhension.

Devina-t-il l’intérêt que je lui portais, mais il semblait réfléchir, hésiter, et sa main durillonnée pressa longuement la mienne et la secoua sans se décider à la lâcher.

Je n’ai pas perdu un détail de cette humide soirée de juin. De tièdes lavasses avaient couché les blés d’un vert aveuglant sous les sépias livides du ciel crépusculaire.