Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/202

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Le silence accompagnant ces regards contribuait au malaise du gars. Aussi, préférant toute complication éventuelle à ce mutisme, Stann interpella l’inquiétant quidam avec une familiarité poupine :

— Or ça, mon vieil oncle, qu’y a-t-il à votre service ?

Pour toute réponse, le vieux empoigna par le bras le terrassier qui était resté accroupi et le souleva jusqu’à ce qu’il se fut redressé sur ses pieds.

— Dis donc, l’ancien, grommela le garçon que ces façons brèves et péremptoires humiliaient un tantinet, si vous laissiez vos mains en poche, je crois que nous nous entendrions mieux.

Cette réflexion ne sembla pas convaincre le mystérieux paroissien, car, au lieu de lâcher le bras, maintenant que Stann était debout, il le serra plus fort. Ces terribles phalanges pressaient comme dans un étau le biceps du gars, ce fameux biceps redouté des mauvais coucheurs.

— Ah maïe ! geignait le patient. Pour sûr j’ai l’os broyé. Pottvolblougi ! Stann n’est pas un chercheur de querelles. Il sait ce que parler veut dire. Mais encore faut-il parler !

Desserrant un peu les doigts, mais toutefois sans délivrer sa victime, le vieillard indiqua de son bâton la route morne courant devant eux.

— Cela signifie « Marche ! » en langage de chrétien. Que ne parliez-vous plus tôt, au lieu de torturer un garçon inoffensif comme moi ? En avant, donc !

Et Stann partit du pied gauche ; l’inconnu marchait du même pas, à côté de lui.