Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/203

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ils entrèrent dans le village, où tout dormait déjà derrière l’huis soigneusement clos après le feu couvert. Comme ils approchaient de la maisonnette habitée par tes Molderé, Stann jugea le moment venu de prendre congé de ce taciturne voyageur. En conséquence, il s’arrêta et dit en lui tirant poliment sa casquette :

— La bonne nuit, Papa-la-Pince, et sans rancune. Merci, plutôt pour le pas de conduite. Me voici arrivé…

Le vieillard ne souffla mot, mais la cuisante poigne se referma, entraînant malgré lui le pauvre terrassier.

— Ah ça ! Que voulez-vous, au bout du compte ? Savez-vous bien que vous m’intriguez, l’homme aux bras nus, et que votre costume d’été ne m’inspire qu’une médiocre confiance ? On en porte de semblables a Merxplas. Parlez. Vous faut-il de la pécune ? Je n’ai plus que du cuivre. Prenez toujours. Mais lâchez-moi et tirez ailleurs, matagot que vous êtes !

Muet, le vigoureux bonhomme paraissait au moins aussi sourd, car malgré les protestations du malheureux Stann, il s’obstinait à poursuivre en sa compagnie. Le terrassier, enhardi par le voisinage de sa case, jurait, se débattait comme un épileptique et, enragé, de la main restée libre, il essayait de poindre l’impassible visage de son tyran.

L’autre se contentait de parer les coups au moyen de son gourdin. Mais soudain, jugeant sans doute que ce jeu durait trop longtemps, il dégrafa son manteau, le déploya et, en dépit de la résistance de sa victime, il enveloppa notre homme, le roula dans l’ample étoffe depuis les pieds jusqu’à la tête, le tint absolument maté