Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/204

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contre sa robuste poitrine, et voilà que Stann, étreint, étouffant, sentit la terre fuir sous leurs pieds. Ils volaient à travers l’espace.

Un peu plus tard ils touchaient de nouveau le sol. Lorsque l’implacable personnage eut rendu jusqu’à un certain point la liberté des mouvements à sa proie en écartant les plis du manteau dans lequel le souffre-douleur avait été à la fois aveuglé, bâillonné et garrotté, le malheureux constata qu’il faisait encore nuit.

Mais où descendaient-ils ? Le site, — une forêt plantée d’arbres aux fûts énormes et serrés, montant à perte de vue comme des piliers soutenant les voûtes sidérales — était totalement inconnu au vastadour.

— Que va-t-il advenir de moi ? ne cessait-il de se demander. Cette promenade dans le vide avait eu raison de sa dernière velléité de résistance. Maintes fois il s’était fait raconter à la veillée l’histoire de Klaes Calvoet, l’incorrigible gobelotteur, emporté par le diable et que personne ne revit jamais. Stann ne rencontrait-il pas la même aventure ?

Aussi, tout bouleversé, le pauvre garçon tomba aux pieds du redoutable vieillard et des larmes abondantes coulèrent de ses yeux ordinairement pleins de malice :

— Ah, messire Lucifer ! Laissez-moi retourner à Langdorp, auprès des miens. Je ne pomperai jamais plus de genièvre et vivrai comme un bon chrétien.

Pour la première fois depuis qu’il avait prononcé le nom de Stann, le vieux fit entendre une voix gutturale, martelée comme le glas durant une nuit de tempête :

— Je suis l’Esprit de Noël ! Obéis et tais-toi !