Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/26

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lampent et pipent au cabaret en manipulant des cartes graisseuses, elles prennent leur revanche à l’occasion du teerdag. La licence de leurs propos l’emporte sur le cynisme des falots les mieux embouchés. Après le festin où elles se guédent jusqu’à éclater, lorsqu’on a déplacé les tables et que le bal s’engage pour durer jusqu’au point du jour, elles entraînent les maroufles dans le tourbillon et les forcent de gambiller et de saboter contre leur gré. Les plus aguerris s’avouent vaincus qu’elles se dégingandent et se déhanchent encore, qu’elles se cramponnent et se frottent férocement aux mâles recrus et passifs. C’est seulement en raison de ce sabbat que, détentrices de la pécune, les ménagères consentent à payer au bedeau de la société la cotisation annuelle au nom de leurs hommes.

Cette année, le teerdag fut particulièrement animé. Baut n’ayant ni fiancée, ni sœur à chaperonner, s’était fait accompagner de sa mère, une sexagénaire futée et dessalée. Lorsque le bal s’ouvrit, elle conseilla à son fils d’engager les trois sœurs en commençant par la plus âgée. Les deux premières acceptèrent flattées, au fond, de cette attention, mais gloussantes, elles se déclarèrent éreintées après le premier tour de valse et s’effondrèrent parmi les vieilles buveuses de café. Alors Baut invita la blonde Lusse. Ce fut un moment cruel et suave pour la pauvrette. Elle refoula sous son masque impassible, avec un sourire prude et béat, les élancements de sa chair et l’ébullition de son sang. Elle minauda comme les deux autres. Mais à peine partis au rhythme furieux d’un quatuor de fanfares, l’apprenti fut frappé