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LES FUSILLÉS DE MALINES

la foule s’écoula en silence, s’évitant les uns les autres comme des complices qui se méprisent et se font mutuellement horreur.

La misérable commère, aussi bourrelée de remords que Judas, s’était empressée d’abandonner la place. Une légende veut qu’elle devint folle et que, maudite dans sa descendance, plus jamais le malheur ne sortit de sa maison.

Quarante et un cadavres gisaient sur le champ de repos converti en champ de supplice. Écartant par moments les nuages qui la voilaient de leurs crêpes funéraires, la lune montrait sur le mur gothique, éraillé, labouré par les projectiles, un étrange espalier, un plant de vigne qui avait crû spontanément ; des lambeaux de haillons, des chairs déchiquetées, des portions de cuir chevelu, des éclisses d’os fracturés, s’étaient aplatis contre la paroi et dessinaient des sarments et des enlacements feuillus, où les caillots et des gouttes de sang jouaient les grappes de raisins.

La garde des morts ayant été confiée au gros des troupes, une escouade pilotée par quelques porteurs de falots se rendit au