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Page:Eekhoud - Raymonne, 1878.djvu/11

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L’IDYLLE.


Tu ne sais pas comment, anxieuse, j’écoute
Ton pas que je connais, résonner sur la route…
Comment, lorsqu’il s’éloigne au matin, je me sens
Perdre de ma gaîté, comme si la distance
Qui se met entre nous, minait mon existence,
Jetait un voile noir et lourd sur tous mes sens.

Mais au retour, aussi, comme mon cœur s’éveille,
Comme, lorsque ta voix caresse mon oreille,
Tout renaît à mes yeux ! Si je n’ose parler
Souvent, c’est que je n’ai d’assez tendre parole
Pour dire mon bonheur… Est-ce que je suis folle ?
Mais mon amour en mots ne saurait s’exhaler…,

Comme si cet aveu brûlant l’eut alarmée,
Elle cacha son front, la chaste bien aimée,
Dans le sein de l’amant, enivré de bonheur.
Puis en des pleurs, soudain la pudeur féminine
Révéla son échec. Confusion divine
Sans laquelle l’amour aurait moins de valeur !

Huguet sent, contre lui, frémir cette poitrine,
Ce visage adoré qui sur le sien s’incline :
— Ô tu m’aimes, dit-il, pourquoi le regretter
Cet aveu, qui m’emplit d’un transport ineffable
Et qui me donne à moi, le serf, le misérable,
Le trésor qu’un baron ne peut que convoiter.