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aux coups des meurtriers avec trois de ses enfants. Comme Élisabeth de Hongrie, c’est par une nuit orageuse, sur un sol recouvert d’une neige épaisse, qu’elle chemine dans les campagnes pour arracher aux assassins la proie qui leur est désignée.

Pourtant il faut écraser les Minamoto dans leur descendance directe, sous peine de la voir se dresser un jour puissante et vengeresse. Kiyomori, spéculant sur la piété filiale, l’un des sentiments les plus sacrés pour tout Japonais, s’empare alors de la mère de l’infortunée Tokiwa et, semblant la considérer comme otage, annonce son intention formelle de la faire mourir. Le cruel ministre ne s’était pas trompé. Tokiwa revint héroïquement s’offrir à son persécuteur.

Par quels charmes réussit-elle à fléchir ce cœur de bronze ? On le devinera, si l’on ajoute que Tokiwa, célébrée par les poètes nationaux, réalisait le type accompli de la perfection féminine. Kiyomori en tomba éperdûment amoureux. Quant à la courageuse victime, elle consentit, pour sauver ses enfants, à devenir la femme du vainqueur, et sut immoler ses ressentiments à son double devoir d’épouse et de mère. Au point de vue strict de notre Sublime de convention, la conduite de Tokiwa peut paraître équivoque. Se donner à l’assassin de son époux implique, ou bien une bassesse hors ligne, ou bien une abnégation sans bornes. Au Japon, elle est encore considérée comme une action noble et généreuse par excellence, car les enfants de Yoshitomo, grâce au dévouement de leur