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monies des montagnes, j’ai bien souvent écouté avec iviesse les chants de ces hommes qui passaient à l’horizon.

Puis, j’ai essayé de chanter aussi, moi, comme ces hommes aux longs cheveux qu’on appelle poètes.

Que voulez-vous ? j’ai dix-neuf ans ! Quoique bien jeune encore, j’ai beaucoup voyagé, beaucoup vécu, beaucoup souffert. Dans ma vie errante el aventureuse, lorsque je m’arrêtais sur le bord des grandes routes où je cheminais seul, faisant de bonne heure l’apprentissage de la vie et du malheur, je me sentais parfois saisi par une tristesse étrange, profonde, immense : ce vague dégoût de la vie que donnent les souffrances intimes et prématurées me mentait au coeur avec la fatigue ; je sentais venir à moi, comme un ilôt sombre et lointain, toute ma jeunesse voyageuse et solitaire ; et bien des fois je me pris à pleurer longuement et amèrement, en pensant à ma mère, partie, hélas ! pour la tombe quand j’arrivais à la vie !

J’avais alors parfois d’étranges désirs d’aller la rejoindre. Mais à dix-neuf ans le soleil et la poésie sont si beaux ! Je reprenais bientôt mon bâton de voyage et je continuais ma route.

J’arrive, me direz-vous, dans un moment d’orages peu propre à l’épanouissement de la poésie, et il est bien à craindre que ma faible voix ne soit éteinte par la grande voix des révolutions.

Mais comme me faisait l’honneur de me l’écrire ce Goethe français qu’on appelle Victor Hugo :

« Ce n’est pas la poésie qui manque, elle remplit les événements; mais c’est la poésie de Dieu, elle passe comme un oura-