génie de Schleyer s’est surpassé ». Examinons d’un peu près ce « point le plus éclatant » du génie de Schleyer et demandons à ceux qui ne sont pas initiés depuis des années aux secrets du Volapük : Si le radical est pük que doivent donc signifier les mots qui en sont dérivés comme pükat et pükot ? On ne peut assurément le savoir si l’on ne connaît pas la signification des suffixes de Schleyer at et ot. Ils désignent tous deux d’après Schleyer : des choses, des objets et le préfixe allemand ge. Quel vaste champ ouvrent à l’esprit ces choses, ces objets et ce préfixe ge ! On peut tout penser et même rien ; quant au préfixe ge, celui qui n’est pas allemand ne peut en avoir aucune idée. Je me suis donc donné la peine, pour faire plaisir à M. Rosenberger, de chercher dans la grammaire de M. Kerckhoffs, comment il s’y prend pour expliquer ceci à ses Français ou tout au moins pour leur rendre la chose plausible. J’y ai trouvé les syllables æd, æt, ed, od, ot, servant à la fois pour les noms concrets et pour les noms abstraits, avec cet avertissement : « Comme il n’est pas possible d’établir une classification systématique de nos idées et de nos connaissances, l’auteur du Volapük a admis un certain nombre de suffixes, qui ne correspondent à aucun ordre d’idées déterminé ». Tels sont ap, eg, ib pour les noms concrets ; et, ug, üg pour les noms abstraits et les suffixes indiqués plus haut. Donc, d’une part, un couteau sans lame, puis de l’autre, un couteau sans manche, et un couteau sans lame ni manche ! Rien d’étonnant alors à ce que les volapükistes n’en puissent rien faire, c’est-à-dire ne puissent, avec leurs seules ressources, former leurs radicaux ou, s’ils le sont déjà, en faire dériver les mots qui s’y rattachent. C’est pourquoi il arrive fréquemment qu’un élève, bien que s’occupant de Volapük depuis des années, se trouve encore abandonné par sa mémoire à tel point qu’il va confondre aujourd’hui pukat avec pükot, demain pükot avec pükat. Cependant le Dr Esperanto a démontré qu’il n’était pas si difficile d’apporter une meilleure classification à nos idées que ne l’a pu l’auteur du Volapük de Litzelstetten. Pour les mots, comme pour les syllabes de dérivation, Schleyer n’a considéré que la forme extérieure et ne s’est pas assez inspiré de l’esprit des langues, tandis que le Dr Esperanto, au contraire, a créé des
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