Page:Elder - Le Peuple de la mer.djvu/226

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P’tit Pierre l’apportait avec fierté, et, chacun à son tour « prenait la hauteur du soleil », en buvant à même le goulot, le cul de la bouteille braqué en l’air comme une lorgnette.

Le maquereau donnait. De minute en minute on sentait aux lignes les secousses du poisson qui s’enferre ; et quand on levait, les beaux scombres apparaissaient au bout des fils comme des flèches nacrées fendant l’eau claire. Des roses, des verts et des bleus très fins se déplaçaient, se succédaient et chatoyaient sur leur dos ; ils avaient des yeux d’émeraude cerclé d’or et leur ventre était tout en argent. Sur le pont ils ouvraient trois ou quatre fois leur gueule vorace, tressautaient et agonisaient vite en éteignant leurs yeux et la vie lumineuse de leurs écailles, redevenus des poissons vulgaires, d’un bleu lourd, zébré de noir.

Bientôt dans la vapeur estivale, Saint-Nazaire se révéla, hérissée, métallique, conquérante, avec ses phares, ses cheminées, ses mâtures, ses chantiers et sa grue gigantesque en forme de T, comme une place forte en arme, face aux océans.

En opposition, de l’autre côté de l’estuaire limoneux, brillait des plages, des bois arrondis, la nature paisible, sans blindage de granit, sans bassins creusés à bras d’hommes pour emprisonner de la mer.

En rade, deux cuirassés pesaient, sombres et in-