Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/286

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Lush ne bougea pas. Il voyait Grandcourt sur le point de se jeter, selon lui, tête baissée, dans un guêpier, et il ne voulait pas le laisser faire le premier pas sans l’avertir. Il fut assez prudent pour prendre un ton amical, et, se sachant nécessaire à son patron, il ne craignit pas d’aller jusqu’à l’audace.

— Il serait bon de vous souvenir, Grandcourt, que vous êtes désormais tout près du feu. Vous ne pouvez plus user des folâtreries ordinaires. Il faut que vous vous décidiez ; impossible maintenant de faire la cour pendant six semaines.

Grandcourt ne répondit pas ; il posa son journal sur ses genoux et alluma un nouveau cigare. Lush prit ce manège pour un signe d’attention et voulut en profiter.

— Tout a un aspect plus sérieux maintenant. Il y a la famille qu’il faudra soutenir, car vous ne pourrez permettre que la mère de votre femme vive dans la misère. Ce sera diablement embarrassant ! Ce mariage vous fera prendre une voie à laquelle vous n’êtes pas accoutumé, et, quant à l’argent, vous n’avez pas trop les coudées franches. Et puis qu’y gagnerez-vous ? Ce serait malheureux de grever vos biens pour vous payer une simple fantaisie dont vous pourrez vous repentir au bout de quelques mois. Je vous verrais avec chagrin gâter votre vie. Ah ! si ce mariage vous conduisait à quelque chose de solide, ce serait une autre affaire !

Le ton de Lush était devenu onctueux ; il se laissa aller et, pour un moment, il oublia qu’il jonglait avec des arguments. Grandcourt ne le regardait pas ; il avait l’air d’examiner très attentivement son cigare.

— Je savais déjà, dit-il, que vous étiez opposé à mon idée d’épouser miss Harleth ; mais je n’ai jamais regardé votre opposition comme un motif valable contre ce mariage.

— Je ne l’ai pas supposé non plus, répondit Lush sèche-