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Page:Eliot - La Conversion de Jeanne.djvu/164

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SCÈNES DE LA VIE DU CLERGÉ

force de la maternité ! nous dit le grand poète tragique au travers des siècles, trouvant comme toujours les mots les plus simples pour le fait le plus sublime : δεινὸν τὸ τίκτειν ἔστιν. Elle transforme toute chose par sa chaleur vitale ; elle change la timidité en courage et la provocation en soumission tremblante ; elle change la légèreté en prévoyance, et cependant fait de toute inquiétude une douce satisfaction ; elle fait de l’égoïsme le renoncement, et accorde même à la vanité le coup d’œil d’une admiration aimante. Oui, si Jeanne eût été mère, elle aurait été préservée d’une faute grave et, par suite, de beaucoup de tourments !

Mais ne croyez pas que rien de ce que possédait Jeanne ou de ce qui lui manquait fût le motif de la dureté, disons plus, de la cruauté de son mari. La cruauté, comme tout autre vice, ne demande point de motif extérieur à elle-même : elle n’attend que l’occasion.

Vous ne pensez pas que celle de Dempster eût d’autre motif que son désir de boire ; la présence de l’eau-de-vie était la seule condition requise. Et un homme brutal et tyrannique n’a besoin d’aucun motif pour mettre en jeu sa cruauté ; il ne lui faut que la présence constante d’une femme qu’il peut appeler la sienne. Un parc entier plein d’animaux apprivoisés à tourmenter à sa volonté ne servirait pas si bien son désir de torturer ; ils ne pourraient sentir comme une