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Page:Eliot - La Conversion de Jeanne.djvu/165

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LA CONVERSION DE JEANNE

femme ; ils ne pourraient avoir la réplique, qui aiguise le tranchant de la haine.

L’amertume de Jeanne débordant facilement, elle ne pouvait être adoucie par la dureté ; elle ne se repentait de rien en face de l’injustice, quoiqu’elle fût soumise en un instant par un mot ou un regard qui lui rappelait les anciens jours de tendresse ; et, dans les temps de calme comparatif, elle retrouvait quelquefois sa douce habitude d’affection badine et caressante. Mais de tels jours étaient rares, et l’âme de la pauvre Jeanne était comme une mer tourmentée, agitée par un nouvel orage avant que les anciennes vagues fussent calmées. Une résistance emportée ou une soumission inerte étaient maintenant les seules alternatives qu’elle connût. Elle supportait tout fièrement vis-à-vis du monde, et montrait la même fierté vis-à-vis de son mari ; sa faiblesse de femme pouvait bien crier grâce sous un coup violent ; mais elle ne faisait rien pour attendrir son bourreau, à moins qu’il ne se ralentît le premier. Que lui avait-elle jamais fait, que l’aimer trop ? — trop passionnément ? Il n’avait aucune pitié pour elle : il pouvait frapper les douces épaules qu’il demandait naguère à baiser. Toutefois elle ne voulait pas reconnaître sa misérable position ; elle l’avait épousé aveuglément, et elle le supporterait jusqu’à la fin. Mieux valait ce malheur que le vide qui se trouverait pour elle en dehors de son domicile conjugal.