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Page:Eliot - La Conversion de Jeanne.djvu/181

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LA CONVERSION DE JEANNE

le passé de sa vie et laissait l’avenir sombre et incertain comme la nuit qui l’enveloppait, les scènes de son enfance, de sa jeunesse et de sa triste maturité se pressèrent dans ses pensées et se confondirent en un seul tableau avec son désespoir actuel. L’enfant chéri prenant dans son lit son jouet aimé, — la jeune fille, fière de sa beauté, rêvant que la vie était facile et que c’était une misérable faiblesse que d’être malheureuse, — l’épousée, passant avec une tremblante joie dans le sanctuaire de la vie de femme, — la femme mariée commençant son initiation à la tristesse, fâchée, blessée et cependant espérant et pardonnant, — la pauvre femme meurtrie, cherchant pendant des années d’écrasement le seul refuge du désespoir, l’oubli : — Jeanne se revoyait elle-même dans tout ce passé, en même temps qu’elle avait la perception d’être assise sur la froide pierre sous le coup d’un nouveau malheur. Toutes ses joies, toutes ses espérances, ses illusions, tous ses dons de beauté et d’affection ne servaient qu’à obscurcir l’énigme de sa vie ; c’étaient les promesses trompeuses d’un destin cruel qui n’avait fait éclore ces fleurs que pour que les vents et les orages eussent à accomplir une œuvre plus vaste de destruction ; qui ne l’avait élevée comme un faon favori avec tendresse et promesse d’amour, que pour qu’elle pût ressentir une terreur plus vive sous l’étreinte de la panthère. Sa mère avait dit quelquefois que les