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Page:Eliot - La Conversion de Jeanne.djvu/182

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SCÈNES DE LA VIE DU CLERGÉ

chagrins nous sont envoyés pour nous rendre meilleurs et nous rapprocher de Dieu. Quelle raillerie ! Ses chagrins l’avaient écrasée d’année en année, pressant sur elle comme de lourdes vapeurs fiévreuses, et convertissant la plénitude même de sa santé en une source de malaise. Son infortune avait été un instrument de torture auquel elle était attachée et qui avait peu à peu absorbé toutes les facultés de sa nature dans une sensation de douleur et de désir insensé de soulagement. Oh ! si quelque rayon d’espoir, de pitié, de consolation voulait percer cette horrible obscurité, alors elle pourrait croire à un amour divin, à un Père céleste s’occupant de ses enfants ! Mais maintenant elle n’a ni foi ni confiance. Elle ne peut s’appuyer sur rien dans ce monde, car sa mère est une compagne de souffrance dans son propre sort. La pauvre femme patiente ne peut que s’attrister avec sa fille ; elle a assez d’humble résignation pour soutenir sa propre âme ; mais elle ne peut pas plus donner de force et de consolation à Jeanne, que le tronc desséché couvert de lierre ne peut supporter ses branches chargées de feuilles et craquant sous l’aquilon des Alpes. Jeanne sentait qu’elle était seule : aucune âme humaine n’avait connu son angoisse, n’avait compris son désespoir, n’était entrée dans ses tristesses avec cette profonde sympathie qui est plus sage que le blâme, plus puissante que le reproche : cette sympathie