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Page:Eliot - La Conversion de Jeanne.djvu/183

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LA CONVERSION DE JEANNE

dont son cœur avait été rempli pour les souffrances de ses semblables. Et si quelque pitié divine existait, elle ne pouvait pas s’en apercevoir ; cette pitié se tenait loin d’elle, elle ne versait aucun baume sur ses blessures, elle ne lui tendait point la main pour la soutenir dans ses faibles résolutions, pour relever son courage défaillant.

Maintenant, elle ne versait aucune larme ; elle restait à regarder fixement dans l’obscurité, tandis qu’elle revoyait intérieurement le passé, perdant presque le sentiment que c’était le sien, ou qu’elle fût autre que la spectatrice d’un drame effrayant et bizarre.

L’horloge du clocher, qui sonna une heure, la fit tressaillir. Quoi ! il n’y avait pas plus d’une demi-heure qu’elle était là ? Il lui semblait qu’elle y avait passé la moitié de la nuit. Le froid commençait à l’engourdir. Avec cette crainte instinctive de la douleur et de la mort qui l’avait fait reculer devant le suicide, elle se leva d’un bond, et la sensation désagréable de s’appuyer sur ses pieds engourdis la rappela tout à fait à la réalité. Le vent faisait des percées dans les nuages, et de temps en temps une lueur des étoiles l’effrayait encore plus que l’obscurité ; c’était comme un doigt cruel la désignant dans son désespoir et son humiliation. Elle frémit en pensant que l’aube viendrait. Que faire ? Elle ne pouvait pas aller chez sa mère,