Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/264

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seulement fait revivre, mais encore étendu cette grande conception qui faisait des événements suprêmes de l’Évangile autant de mystères, que les siècles successifs contemplaient en spectateurs, et avec lesquels les grandes âmes de toutes les époques pouvaient se sentir contemporaines. Will ajouta qu’il s’était fait dans ce but l’élève de Naumann.

— J’ai fait quelques peintures à l’huile sous sa direction, dit Will. Je déteste faire des copies. Il faut toujours que j’y mette quelque chose du mien. Naumann a représenté les saints tirant le char de l’Église ; et moi j’ai fait une esquisse du Tamerlan de Marlowe conduisant du haut de son char les rois vaincus. Je ne suis pas dans le religieux comme Naumann et je le blâme quelquefois de vouloir mettre trop de signification dans ses tableaux. Mais cette fois je veux le surpasser dans la profondeur de l’intention. Je ferai de Tamerlan sur son char l’image de la course effrayante de l’histoire physique du monde, menant à coups de fouet les dynasties armées. C’est, à mon sens, une belle allégorie.

Ici, Will regarda M. Casaubon, qui accueillit avec un embarras visible cette façon légère de traiter le symbole et s’inclina d’un air vague.

— L’esquisse doit être bien grande pour exprimer tant de choses, dit Dorothée. Je réclame encore certaines explications relatives à cette interprétation. Voulez-vous représenter par Tamerlan les tremblements de terre et les volcans ?

— Oui, répondit Will en riant ; et les migrations des peuples et les défrichements des forêts de l’Amérique et la machine à vapeur. Tout ce que vous pourrez imaginer !

— C’est là un genre de sténographie bien difficile, dit Dorothée à son mari en lui souriant. Il faudrait toute votre science pour parvenir à la déchiffrer.

M. Casaubon cligna de l’œil furtivement du côté de Will. Il soupçonnait qu’on se moquait de lui ; mais ce soupçon ne pouvait s’étendre à Dorothée.