Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/381

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être plus avides de gain et plus hypocrites qu’il ne les en soupçonnait.

— Frère Pierre, dit-il d’un ton doucereux en même temps que grave et cérémonieux, je ne fais que mon devoir en vous parlant aujourd’hui des Trois-Clos et des affaires du manganèse. Le Tout-Puissant suit ce qui pèse sur mon âme.

— Alors il en sait plus long que je n’en veux savoir, répliqua Pierre, en déposant sa canne comme pour indiquer une trêve qui ne manquait pas non plus d’un certain air de menace ; car il retourna cette arme de façon à se faire une massue de la pomme d’or en cas de lutte plus rapprochée, regardant d’un air dur la tête chauve de Salomon.

— Mon frère, il y a des choses dont vous pourrez vous repentir de ne pas m’avoir parlé, dit Salomon, n’osant toutefois s’avancer. Je pourrais veiller auprès de vous cette nuit, et Jane aussi veillerait volontiers, et vous n’auriez qu’à choisir votre temps pour me parler, ou me laisser parler.

— Oui, je choisirai mon temps et vous n’avez pas besoin de m’offrir le vôtre.

— Mais vous n’aurez pas le choix pour l’heure de votre mort, mon frère, reprit mistress Waule de sa voix sourde et mielleuse. Et quand vous serez étendu et privé de la parole, vous serez peut-être fatigué des étrangers qui vous entourent, et vous penserez à moi et à mes enfants…

Ici, sa voix se brisa sous l’impression de la pensée touchante qu’elle attribuait à son frère privé de la parole.

— Non, je ne le ferai pas. Je ne penserai à aucun du vous. J’ai fait mon testament.

Puis il tourna la tête du côté de mistress Vincy et avala un peu de sa potion.

— Il y a des gens qui rougiraient de se substituer à d’autres dont c’est le droit légitime, dit mistress Waule en tournant ses yeux étroits dans la même direction.