Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/41

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que ses auditeurs ne l’écoutaient pas, qu’ils étaient trop abasourdis pour cela. Célia n’agissait pas par impulsion spontanée ; ce qu’elle avait à dire pouvait attendre et sortait toujours de ses lèvres avec la même égalité brève et tranquille.

Peu de jours après, M. Casaubon vint un matin faire visite à Tipton, et on l’invita à venir dîner et coucher la semaine suivante.

Dorothée eut avec lui trois nouvelles conversations et elle put se convaincre de la justesse de ses premières impressions. Il était bien tout ce qu’elle s’était imaginé dès le premier jour ; tout ce qu’il disait ressemblait à un précieux fragment arraché à une mine profonde ou à une inscription gravée sur la porte d’un musée destiné à vous faire connaître tous les trésors de l’antiquité. Cette foi qu’elle avait dans sa richesse d’esprit pénétrait d’autant plus profondément les sentiments de Dorothée qu’il était bien clair maintenant qu’il ne venait à Tipton que pour elle. Cet homme accompli consentait à s’abaisser au niveau d’une jeune fille, prenait la peine de causer avec elle, non pas en la nattant de compliments ridicules, mais en faisant appel à son intelligence, quelquefois même la reprenant pour l’instruire. Quelle union délicieuse ce serait là !

M. Casaubon paraissait si étranger à toutes les trivialités de la vie ! Il ne tombait jamais dans cette conversation banale, propre aux esprits lourds, aussi agréable qu’un vieux gâteau de noces sentant l’armoire d’où on le tire ! — Il parlait de ce qui l’intéressait et le touchait ; autrement il gardait le silence et s’inclinait avec une politesse grave.

Aux yeux de Dorothée, c’était une sincérité adorable, et elle ne pouvait trop admirer qu’il s’abstînt régulièrement de tous ces propos superficiels où l’âme s’use dans les efforts qu’elle fait pour paraître. L’élévation religieuse de M. Casaubon, bien au-dessus de la sienne, lui inspirait autant de