Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/447

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Mais, voyez-vous, j’ai si mai tourné, que j’en suis devenu indigne.

Dorothée cherchait dans cette explication une excuse à l’aversion évidente de son mari, tout en répondant à Will avec un sourire enjoué :

— Vous n’étiez pas assez assidu au travail.

— Non, dit Will, en rejetant la tête en arrière, avec quelque chose d’un cheval fougueux, Puis, le vieux démon irritable le poussant à envoyer encore un bon coup de patte aux lourdes ailes de la gloire du pauvre Casaubon, il ajouta : Et j’ai vu depuis que M. Casaubon n’aime pas qu’on regarde son œuvre, on qu’on sache exactement ce qu’il fait. Il se méfie trop, il doute trop de lui-même. Je ne suis peut-être pas bon à grand’chose, je le veux bien ; mais, s’il ne m’aime pas, c’est parce que je suis trop différent de lui.

Will avait bien au fond l’intention de se montrer toujours généreux ; mais nous avons sur le bout de la langue des espèces de petites détentes que nous lâchons le plus souvent sans laisser à la réflexion le temps de les retenir. Et puis il n’y avait plus moyen vraiment de ne pas s’expliquer franchement avec Dorothée sur l’aversion de M. Casaubon. Il fut cependant, après avoir parlé, un peu inquiet de l’effet que son langage produirait sur elle.

Mais Dorothée resta étrangement calme ; elle n’éclata pas d’indignation comme à Rome, en pareille occasion. Et ce calme avait une cause profonde. Elle ne luttait plus contre la perception évidente des faits ; elle s’efforçait, au contraire, d’y accommoder son cœur ; et, quand elle contemplait maintenant d’un œil ferme l’infirmité de son mari, et plus encore la conscience qu’il avait peut-être de cette infirmité, c’était pour ne plus voir qu’une seule voie tracée à son devoir, celle de la tendresse. Peut-être aurait-elle jugé plus sévèrement ce qu’il y avait d’indélicat dans le langage de Will, si l’antipathie même qu’il inspirait à M. Casaubon ne lui avait