Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/37

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nièrement quelques dettes, mais celles-là lui avaient paru inévitables, et il n’avait pas l’intention maintenant de faire autre chose que de vivre sur un pied modeste. Le mobilier pour lequel il s’était endetté n’aurait pas besoin d’être renouvelé, ni la cave non plus, d’ici longtemps.

Bien des pensées le réjouissaient à cette heure — et avec raison. Quand un homme se sent de l’enthousiasme pour un but noble et élevé, il est soutenu dans les petites hostilités par la mémoire des grands travailleurs qui ont dû, eux aussi, se frayer un chemin par la lutte et non sans blessures, et qui planent dans son esprit comme de saints patrons lui prêtant une aide invisible. Un peu plus tard, dans cette même soirée où il avait eu cette conversation avec M. Farebrother, il était chez lui, ses longues jambes étendues sur le divan, les mains croisées derrière sa tête renversée en arrière, dans son attitude favorite de méditation ; Rosemonde, assise au piano, jouait une mélodie après l’autre, et tout ce que son mari (l’éléphant sensible qu’il était) en savait, c’est qu’elles s’accordaient avec sa disposition d’âme, comme de mélodieuses brises de mer.

Il y avait à ce moment quelque chose de très beau dans le regard de Lydgate, et quiconque l’aurait vu aurait été tenté de parier pour son œuvre. Dans ses yeux noirs, sur sa bouche et sur son front, régnait cette placidité qui vient de la plénitude des pensées contemplatives, alors que l’esprit ne cherche pas, mais contemple seulement, et que le regard semble rempli de ce qu’il y a derrière lui.

Rosemonde quitta le piano et vint s’asseoir sur une chaise tout près du divan en face de son mari.

— Est ce assez de musique pour votre agrément, mon seigneur ? dit-elle en joignant les mains sur ses genoux et en revêtant un petit air d’humilité.

— Oui, chère, si vous êtes fatiguée, répondit Lydgate doucement, en tournant les yeux et en les attachant sur