Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/38

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elle, mais sans bouger autrement. La présence de Rosemonde, en ce moment, ne comptait peut-être pas plus qu’une goutte d’eau apportée à un lac, et son instinct de femme ne s’y trompa pas.

— Qu’est-ce qui vous absorbe, demanda-t-elle, se penchant en avant et rapprochant son visage de celui de Lydgate.

Il décroisa ses mains et les passa doucement derrière les épaules de sa femme.

— Je pense à un grand homme, qui était à peu près de mon âge, il y a trois cents ans, et qui avait déjà ouvert à l’anatomie une ère nouvelle.

— Je ne puis deviner, dit Rosemonde en secouant la tête. Nous avions l’habitude, en jouant, de deviner des personnages historiques, chez mistress Lemon, mais pas des anatomistes.

— Je vais vous le dire. Son nom était Vésale. Et sa seule ressource, pour arriver à connaître l’anatomie, comme il l’a fait, c’était d’aller déterrer des cadavres la nuit dans les cimetières et les lieux d’exécution.

— Oh ! fit Rosemonde avec une expression de dégoût sur sa jolie figure. Je suis bien contente que vous ne soyez pas Vésale. N’aurait-il pas pu trouver un moyen un peu moins horrible que celui-là ?  ?

— Non, il ne le pouvait pas, dit Lydgate, poursuivant trop gravement sa pensée pour prêter beaucoup d’attention à sa réponse. Il ne put se procurer un squelette complet qu’en enlevant du gibet les os blanchis d’un criminel, il les enterra et en secret il allait les chercher, dans le silence de la nuit.

— J’espère que ce n’est pas un de vos grands héros, dit Rosemonde moitié gaiement et moitié avec inquiétude, sans quoi, vous allez vous lever au milieu de la nuit, pour vous rendre au cimetière de Saint-Pierre. Vous savez combien