Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/463

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avait pu lui écrire ne ferait qu’aggraver sans doute les impressions pénibles de la soirée. Il l’ouvrit toutefois, et le lut à la lueur d’une bougie. Ce n’étaient que quelques mots écrits de l’écriture nette et élégante de Rosemonde :

« J’ai tout dit à mistress Casaubon. Elle n’est sous l’empire d’aucune erreur sur votre compte. Je lui ai tout dit, parce qu’elle est revenue me voir et a été très bonne. Vous n’aurez plus rien à me reprocher maintenant. Je n’aurai rien changé à votre destinée. »

L’effet de ces mots ne fut pas tout entier de la joie. Will, en y réfléchissant avec son imagination excitée, sentait ses joues et ses oreilles brûler, à la pensée de ce qui s’était passé entre Dorothée et Rosemonde, se demandant dans son incertitude jusqu’à quel point Dorothée devait avoir été blessée dans sa dignité, qu’on lui eût donné une explication de sa conduite à lui. Ne pouvait-il pas lui être resté dans l’esprit une association d’idées qui créât dans leurs rapports une différence irrémédiable, un abîme éternel ? Sous l’empire de son active imagination, il en vint à se sentir, dans son doute, presque aussi misérable qu’un homme qui a échappé la nuit à un naufrage et se trouve dans l’obscurité sur une terre inconnue. Jusqu’à cette malheureuse journée de la veille (sauf un court instant de contrariété, il y avait longtemps, dans cette même chambre et en présence de cette même personne), tout ce qu’ils voyaient, tout ce qu’ils pensaient l’un de l’autre, avait été comme dans un monde à part, où les rayons de soleil tombaient sur de grands lis blancs, où le mal ne poussait pas, où nulle autre âme ne pénétrait. Dorothée désormais voudrait-elle encore le rencontrer dans ce monde enchanté ?