Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/471

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toujours il nous faudra être séparés ; — vous pourrez penser à moi comme à un homme sur le bord de la tombe.

Comme il parlait, un éclair parut qui les frappa d’une éclatante lumière aux yeux l’un de l’autre ; et cette lumière semblait être la terreur de l’amour sans espoir. Dorothée se rejeta en arrière de la fenêtre Will, la suivant, lui saisit la main d’un mouvement involontaire et ils étaient là, debout, les mains enlacées, comme deux enfants, regardant l’orage au dehors, tandis que le tonnerre grondait au-dessus de leurs têtes en craquements formidables et que la pluie commençait à tomber à torrents. Puis ils tournèrent leurs visages l’un vers l’autre, et dominés tous deux par le souvenir des derniers mots de Will, ils restèrent ainsi, les mains dans les mains.

— Il n’y a pas d’espoir pour moi, reprit Will, quand même vous m’aimeriez autant que je vous aime, quand même je serais tout pour vous. Selon toutes probabilités, je serai toujours pauvre. Raisonnablement je ne puis compter sur rien que sur un avenir difficile. Il est impossible que nous nous appartenions jamais l’un à l’autre. C’est peut-être lâche à moi d’avoir imploré un mot de vous. Je voulais m’en aller en silence ; je l’avais résolu, mais je n’en ai pas eu le courage.

— Ne regrettez pas, dit Dorothée de sa voix à notes claires et tendres. Combien j’aime mieux partager toute la souffrance de notre séparation

Ses lèvres tremblaient et celles de Will aussi. On ne sut jamais quelles lèvres furent les premières à s’avancer vers d’autres lèvres, mais ils s’embrassèrent en tremblant, puis se séparèrent encore.

La pluie venait frapper contre les vitres comme chassée par un esprit en courroux, et avec la pluie arrivait le grand bruit du vent. C’était une de ces minutes, où chacun s’arrête tout d’un coup dans une sorte de crainte respectueuse.