Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/488

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Que dans le silence de son âme elle pût toujours appeler ces actes du nom de meurtre, c’était ce qu’il ne pouvait supporter. Il se sentait abrité par le doute de sa femme : il puisait la force de la regarder en face dans le sentiment qu’elle ne pouvait pas encore se croire autorisée à prononcer contre lui le dernier mot de la condamnation. Quelque jour peut-être, à l’heure de sa mort, il lui dirait tout : dans l’ombre profonde de cet instant, elle tiendrait sa main dans les ténèbres croissantes, alors qu’elle pourrait l’entendre sans reculer devant cet attouchement ; peut-être… mais la concentration en lui-même avait été l’habitude de toute sa vie, et la tentation de tout avouer demeurait sans force contre la terreur d’une humiliation plus profonde.

Il était plein d’humbles attentions pour sa femme, non seulement pour essayer de détourner ainsi toute rigueur de jugement de sa part, mais aussi parce que la vue de sa souffrance l’affligeait profondément. Elle avait placé ses filles dans une pension près de la côte, afin que cette crise pût autant que possible leur rester cachée. Délivrée par leur absence de la nécessité intolérable d’expliquer les raisons de son chagrin ou d’assister à leur anxieux étonnement, elle pouvait vivre sans contrainte avec la douleur qui de jour en jour blanchissait ses cheveux et alourdissait ses paupières.

— Faites-moi connaître quelque chose que vous souhaitiez, Henriette, lui avait dit Bulstrode. Je veut parler des arrangements de fortune. Mon intention est de ne pas vendre la terre dont je suis propriétaire près d’ici, mais de vous la laisser comme une réserve sûre. Si vous avez quelque désir particulier à ce sujet, ne me le cachez pas.

Quelques jours après, en revenant d’une visite chez son frère, elle entretint son mari d’une idée qui l’occupait depuis quelque temps.

— J’aimerais à faire quelque chose pour la famille de mon frère, Nicolas, et je pense que nous sommes tenus à