Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/501

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à le déjouer par d’adroits stratagèmes. Il lui résista de moins en moins, d’où Rosemonde conclut qu’il rendait enfin justice à la valeur de son opinion ; de son côté elle avait elle-même plus d’estime pour le mérite de son mari, depuis qu’il se faisait un beau revenu ; au lieu de la pauvre cage dont il l’avait menacée dans Bride-Street, il lui en avait orné une, toute de fleurs et de dorures, faite pour l’oiseau de paradis auquel elle ressemblait.

En résumé, Lydgate fut ce que l’on appelle un homme heureux. Mais il mourut prématurément de la diphtérie, et Rosemonde épousa plus tard un médecin riche et d’âge mur qui s’attacha tendrement à ses quatre enfants. Elle était fort gracieuse à voir avec ses filles, quand elle sortait dans sa voiture, et elle parlait souvent de son bonheur comme d’une récompense. Elle ne disait pas de quoi, mais elle entendait sans doute que c’était une récompense de sa patience avec Tertius dont le caractère avait toujours laissé à désirer. En effet, il lui échappa un jour dans les derniers temps une parole amère plus mémorable pour elle que les signes qu’il donnait de son repentir. Il l’avait appelée son basilic, et comme elle lui demanda ce que cela voulait dire, il lui répondit que le basilic était une plante qui avait fleuri merveilleusement sur la cervelle d’un homme assassiné.

Tandis que pour Lydgate Dorothée planait toujours au-dessus des autres femmes, et que Rosemonde elle-même conservait toujours le religieux souvenir de sa générosité, Dorothée ne rêvait aucunement d’être placée si haut, sentant qu’il y avait toujours quelque chose de mieux qu’elle eût pu faire, si elle avait été elle-même meilleure et plus instruite. Elle ne se repentit jamais d’avoir renoncé au rang et à la fortune pour épouser Will Ladislaw ; et c’eût été infliger à Will la plus grande honte comme la plus grande douleur que de s’en repentir. Ils étaient liés l’un à l’autre par un amour plus fort que toutes les influences qui eussent pu le détruire.