Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/89

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était alors un homme des plus occupés, et bien que le veuvage de Dorothée fût constamment présent à sa pensée, c’était un sujet dont il ne désirait pas qu’on l’entretînt ; aussi, quand Lydgate vint le trouver pour lui faire part de ce qui s’était passé pour la cure de Lowick, ce fut avec une sorte d’irritation qu’il répondit :

— Pourquoi me mêleriez-vous à ces affaires ? Je ne vois jamais mistress Casaubon et il n’y a aucune chance que je la voie plus souvent, maintenant qu’elle est à Freshitt. Je n’y vais jamais. C’est un terrain tory où moi et le Pionnier ne sommes pas mieux venus qu’un braconnier et son fusil.

Le fait est que Will était devenu d’autant plus susceptible, que M. Brooke, au lieu de souhaiter comme auparavant de le voir à la Grange un peu plus souvent qu’il ne lui était agréable à lui-même, semblait agir au contraire pour qu’il y fût le moins possible. C’était une concession évasive faite par M. Brooke aux remontrances indignées de sir James ; et Will, sensible sur ce point à la plus petite allusion, en conclut qu’on le tenait éloigné de la Grange à cause de Dorothée. Ses amis le regardaient donc avec soupçon ? Leurs craintes étaient bien superflues ! Ils se trompaient grossièrement s’ils le prenaient pour un de ces aventuriers besoigneux en quête des faveurs d’une femme riche.

Will n’avait jamais vu pleinement l’abîme ouvert entre lui et Dorothée jusqu’au moment où il en eut atteint le bord et la vit de l’autre côté. Il commença, non sans une rage sourde, à songer à quitter le pays ; il lui serait impossible désormais de témoigner le moindre intérêt à Dorothée sans s’exposer à des imputations blessantes, peut-être de la part de Dorothée elle-même, que d’autres essayeraient d’indisposer contre lui.

— Nous voilà séparés pour toujours, sa disait Will. Je pourrais aussi bien être à Rome ; elle ne serait pas plus loin de moi qu’elle ne l’est ici.