Page:Eliot - Silas Marner.djvu/16

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en conséquence, la profession de Silas, lorsqu’il s’était établi, l’avait fait très bien venir des plus riches ménagères des environs, et même des paysannes les plus prévoyantes, pourvues de leur petite provision de fil, à la fin de l’année. Le sentiment qu’elles éprouvaient de son utilité, aurait neutralisé toute répugnance ou tout soupçon à son égard, qui n’eût pas été confirmé par un manque dans la qualité ou dans la quantité du tissu qu’il leur faisait. Et les années s’étaient écoulées sans produire aucun changement dans l’impression que les voisins avaient conçue de lui, si ce n’est le passage de la nouveauté à l’habitude. Au bout de quinze ans, les gens de Raveloe disaient de Marner exactement les mêmes choses qu’au commencement : ils ne les disaient pas aussi souvent, mais ils y croyaient plus fermement lorsqu’il leur arrivait de les dire. Les années n’avaient ajouté qu’un seul fait important : à savoir, que maître Marner s’était amassé quelque part une jolie somme d’argent, et qu’il pourrait acheter les biens de personnes qui faisaient plus d’embarras que lui.

Mais, tandis que l’opinion publique était restée presque stationnaire à son sujet, et que ses habitudes quotidiennes n’avaient guère présenté de changements appréciables, la vie intérieure du tisserand avait eu son histoire ou sa métamorphose, comme la vie intérieure de toute nature ardente, qui a recherché la solitude ou qui y a été condamnée, doit nécessairement avoir la sienne. Son existence, avant son arrivée