Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/213

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le buddhisme pour celui qui a sondé le néant de la vie. Mais le dogme chrétien n’est fait ni pour l’homme heureux ni pour le malheureux ; en un mot, il n’est pas fait pour l’homme, et c’est l’homme qui est fait pour lui. Leconte de Lisle trouve cela horrible, inconcevable[1]. Subordonner ainsi son être à quelque chose qui le dépasse, Dieu ou non, beaucoup d’hommes croiraient que cela a chance d’être préci-

  1. Catéchisme populaire républicain, p. 18 : « Il y a une différence sensible, nous l’avouons, entre ces deux demandes et ces deux réponses : 1o Pourquoi Dieu nous a-t-il créés ? Pour le connaître, l’aimer et le servir ; et 2o Quel est le but de l’individu ? Le but de l’individu est de vivre et de se conserver par la libre satisfaction de ses besoins et par l’entier développement de ses facultés physiques et morales. [Le numéro 2, c’est la question de Leconte de Lisle lui-même, quelques pages plus haut]. Ceux qui prétendent que Dieu a créé l’homme afin d’être connu, aimé et servi par lui, n’exigent pas autre chose de l’homme que de renoncer à sa raison, à son intelligence, à sa liberté morale, de se nier soi-même et de s’anéantir en face d’une puissance absolue dont il ne lui est accordé de comprendre ni la nature ni la justice. »

    Ce principe paraît à Leconte de Lisle la négation même de la morale. « L’homme cesserait d’être un être moral et tomberait au niveau de la brute, si le principe de la justice existait en dehors de lui » ; c’est une des premières phrases du Catéchisme. De là aussi ses traits contre le déisme, comme il dit, dans l’article sur Béranger (« emprisonné dans un pauvre et grossier déisme sans lumière et sans issue ») et dans celui sur Baudelaire : « Nous sommes une nation routinière et prude, ennemie née de l’art et de la poésie, déiste, grivoise et moraliste. »