Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/214

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sément le remède dur, mais efficace, du pessimisme. Leconte de Lisle n’y a pas même songé. C’est parce qu’il n’a pas vu cette issue qu’il est resté renfermé comme il a fait dans le cercle inflexible que lui faisaient le mal de la mort et le mal de la vie, et c’est à cela que nous devons la puissance sans égale de sa poésie pessimiste ; mais pour pénétrer dans l’esprit de la religion chrétienne, et à plus forte raison pour marquer de l’indulgence à ce que le sens commun moderne appellerait ses excès dans l’application, c’était la disposition la plus défavorable qu’on puisse imaginer. Les violences commises au service du dogme lui paraissaient les plus condamnables de toutes : elles sont pour lui le type de ce qu’on peut tirer d’odieux de la nature de l’homme[1]. Renan qui, à ce point de vue, est aux antipodes de Leconte de Lisle, a eu l’idée de justifier les persécutions de l’Église : « Massacrer les autres pour son opinion est horrible. Mais pour le dogme de l’humanité ? »[2]. Leconte de Lisle aurait sursauté s’il avait lu cette parole.

Dans la période qui va de 1850 à 1860 environ, qui est la période par excellence du sentiment reli-

  1. Voy. par exemple l’Holocauste : « la honte d’être homme » devant le spectacle des persécutions. [Poèmes tragiques, p. 52.]
  2. Avenir de la Science, p. 346.