Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/97

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tant la félicité des rases anciennes, le barde celtique dit : « et la terre était bonne, et douce était la mort »[1] ; pour Leconte de Lisle on peut dire au contraire que l’horreur de la vie et l’horreur de la mort vont ensemble. Dans la Dernière Vision, où l’affreux spectre qui dévore toutes choses est maudit avec tant de passion, l’existence n’en est pas moins appelée le « sinistre anathème » ; l’un est désespérant comme l’autre, et il fait noir des deux côtés du rideau.

Cette longue évolution du poète de la religion à l’irréligion, et, parallèlement, de l’amour de la vie à l’amour de la mort, est comme miseen action dramatiquement dans Dies iræ. Le bonheur des premiers temps est décrit dans les premières strophes ; puis, les belles illusions sont dispersées à tous les vents, et Leconte de Lisle demande avec inquiétude : « répondez, jours nouveaux, nous rendrez-vous la vie ? » Il la regrette, comme on voit ; et c’est seulement quand il n’a pu nulle part en trouver la source, quand il a été repoussé de tous les côtés, qu’il parle du mal éternel et demande « le repos que la vie a troublé ». C’est la marche même de sa pensée. Et maintenant le dernier mol est dit ; les vers par lesquels débutait la Recherche de Dieu se sont vérifiés à la lettre :


Pareil à l’épi mûr devant le moissonneur,
Me voici face à face avec la mort, Seigneur.


  1. Poèmes barbares, p. 120.