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Page:Emile Littre - Etudes et glanures - Didier, 1880.djvu/318

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seulement du troisième siècle, où l’on parlait latin, et les changements ont été tels que, si l’on mettait le soixantième aïeul devant le soixantième petit-fils, ils auraient besoin d’un interprète. Il est vrai que ces mutations inévitables et que j’appellerai naturelles sont de temps à autre accélérées par des circonstances accidentelles. Au premier rang de ces accidents, on doit compter le mélange brusque de populations étrangères l’une à l’autre. C’est ainsi que l’invasion germanique hâta considérablement la mutation que le latin subissait peu à peu. C’est ainsi encore qu’au quatorzième siècle, sur une moindre échelle sans doute, mais non sans une efficacité réelle, la concentration administrative, faisant graviter les provinces autour d’une capitale et réduisant leurs dialectes en patois, brusqua les changements par des mélanges hétérogènes, et effaça, avec la déclinaison diminutive qui avait été conservée, un caractère essentiel de synthèse et de latinité. À ces circonstances prépondérantes il en faut ajouter d’autres qui, pour être accessoires, n’en ont pas moins une certaine efficacité, les grandes infortunes sociales, toujours accompagnées de grands désordres, la diminution des influences littéraires, et, par suite, l’affaiblissement de ce qu’on pourrait nommer les mœurs grammaticales.

On a de cela un exemple notable dans l’anglais ; cas excellent parce qu’il est beaucoup plus récent que le cas roman. Une langue germanique florissait en Angleterre ; elle avait sa structure riche et complexe comme est celle de l’ancien haut allemand ou du gothique ; elle régnait dans les écoles ; elle produisait des livres, et était manifestement destinée au même développement que les autres idiomes ger-