Page:Emile Littre - Etudes et glanures - Didier, 1880.djvu/319

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maniques restés sur le continent. Tout à coup survient l’invasion normande : la conquête est violente et spoliatrice ; elle opprime les vaincus ; elle impose sa langue et relègue l’autre dans le parler populaire. Au bout d’une certaine durée, le parler populaire triomphe, mais il sort de cette rude élaboration tout déformé et tel que l’œil même de sa mère germanique a peine à le reconnaître. Puis de ces déformations, la culture, corrigeant et développant, crée la belle langue anglaise.

La vie des langues est dans la lutte entre l’archaïsme et le néologisme ; l’archaïsme qui conserve, le néologisme qui renouvelle. Maintenant qu’on a dans mon Dictionnaire l’historique du français sous les yeux, on peut voir de siècle en siècle arriver une masse de nouveaux mots et de nouvelles locutions. Mais ce serait abuser du terme de néologisme que de l’appliquer à ces révolutions qui changent le type de la langue, comme dans le latin par rapport aux idiomes romans, dans l’anglo-saxon par rapport à l’anglais. C’est une crise ; quand elle est achevée, apparaît un organisme grammatical dérivé du parent, mais autrement constitué.

La force restauratrice qui refait un organisme s’empare de certains éléments que la décomposition a rendus disponibles, les employant à des fonctions pour lesquelles ils n’étaient pas destinés. Et ceci n’est point une force occulte et alchimique, mais bien une force positive, c’est-à-dire une mise en jeu de propriétés inhérentes à ces éléments. Étant grammaticaux par leur nature et leur origine, ils prennent place dans les nouveaux arrangements selon leurs affinités grammaticales ; et c’est ainsi qu’inconsciemment, mais organiquement, se formèrent les combinaisons