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Page:Emile Littre - Etudes et glanures - Didier, 1880.djvu/320

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qui, au moment de la crise, renouvelèrent le latin en langue romane. Le grammairien secret qui a opéré sur tout le territoire roman cette œuvre mémorable, c’est l’affinité grammaticale très comparable à l’affinité organique qui détermine la composition d’un corps vivant.

Cette remarque s’applique naturellement à la conjugaison romane et, en particulier, à la conjugaison française, qui est l’objet du travail de M. Chabaneau. L’élément disponible se trouva le verbe habere, et l’on va voir comment il intervint, étant doué de modes, de temps, de personnes, c’est-à-dire possédant toutes les affinités grammaticales qui lui imposaient un rôle déterminé.

On sait que le latin n’avait qu’un seul prétérit, amavi signifiant à la fois j’aimé et j’aimai. Mais on sait en même temps que dans la meilleure latinité et la plus correcte il y avait des locutions comme celles-ci : habeo scriptas litteras, vectigalia quœ collecta habeo, habeo pactam sororem. Il est vrai, suivant la remarque très juste de M. Chabaneau, que dans de telles phrases se trouvent, en général, deux idées exprimées, et que, par scriptas habeo litteras, on dit plus que par scripsi litteras ; car on fait entendre, en outre, que la lettre écrite est sous la main. « Mais de là, dit M. Chabaneau, on arriva facilement à employer habere dans beaucoup de circonstances (habeo pactam sororem, par exemple) où le complément ne peut pas être considéré comme possédé par le sujet, où il n’y a conséquemment qu’une idée ; et de bonne heure, sans doute, on en vint à ne pas séparer dans la pensée les deux éléments de l’expression de cette idée ; en sorte que habeo n’eut plus d’autre valeur que celle d’une simple flexion, et que