Page:Emile Littre - Etudes et glanures - Didier, 1880.djvu/442

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ne crains pas de dire qu’il fallait bien des subtilités de discrimination pour faire honneur aux subtilités effectives du langage. La seconde gisait dans le classement, sous chaque numéro d’acception différente, des exemples qui, eux aussi, avaient leur ambiguïté et leurs contacts multiples car ils n’avaient pas été écrits par les auteurs pour être classés sous des rubriques lexicographiques, et les nuances de l’esprit individuel qui s’y imprégnaient contrariaient les opérations nécessairement plus générales du classificateur. La malchance de l’ordre alphabétique voulut que, pour mon début, j’eusse à traiter la préposition à, mot laborieux entre tous et dont je ne me tirai pas à ma satisfaction. Plus loin, ayant acquis plus d’expérience et rencontrant le verbe faire, qui, à ce point de vue, n’est guère moins redoutable, j’obtins un meilleur succès et, quand un de mes bons amis, M. le docteur Michel Lévy, médecin en chef du Val-de-Grâce et auteur d’un grand traité d’hygiène, répondant à quelqu’un qui me louait de je ne sais plus quel travail, assura que rien n’équivalait, pour le mérite de la difficulté vaincue, à ma rédaction du verbe faire en mon dictionnaire, j’accueillis avec une vive satisfaction ce témoignage inattendu, qui répondait le mieux à mes appréhensions comme à mes espérances. Son souvenir me rappelle combien amis très chers j’ai perdus, et que de vides se sont faits autour de moi ; la vie serait moins dure si l’on vieillissait de compagnie ; mais passons. Mon opiniâtreté à soumettre à la recherche tout ce qui me paraissait suspect croissait avec les obstacles, loin de faiblir ; j’en étais quitte pour prolonger ma veille habituelle au delà de trois heures du matin, qui était mon heure réglementaire.