Page:Emile Littre - Etudes et glanures - Didier, 1880.djvu/444

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jours prêt ; car ma femme ne faisait pas comme Mme d’Aguesseau. Une heure y suffisait environ. On recommande en précepte hygiénique de ne pas se mettre à l’ouvrage de cabinet immédiatement après le repas. J’ai constamment enfreint ce précepte, après expérience faite que je ne souffrais pas de l’infraction : c’était autant de gagné, autant d’arraché aux nécessités corporelles. Remonté vers sept heures du soir, je reprenais le dictionnaire et ne le lâchais plus. Un premier relais me menait à minuit, où l’on me quittait. Le second me conduisait à trois heures du matin. D’ordinaire, ma tâche quotidienne était finie. Si elle ne l’était pas, je prolongeais la veille, et plus d’une fois, durant les longs jours, j’ai éteint ma lampe et continué à la lueur de l’aube qui se levait.

Mais ne transformons pas l’exception en règle. Le plus souvent trois heures était le terme où je quittais plume et papier et remettais tout en ordre, non pas pour le lendemain, car le lendemain était déjà venu, mais pour la tâche suivante. Mon lit était là qui touchait presque à mon bureau, et en peu d’instants j’étais couché. L’habitude et la régularité (remarque physiologique qui n’est pas sans intérêt) avaient éteint toute excitation de travail. Je m’endormais aussi facilement qu’aurait pu faire un homme de loisir ; et c’est ainsi que je me levais à huit heures, heure de plusieurs paresseux. Ces veilles nocturnes n’étaient pas sans quelque dédommagement. Un rossignol avait établi sa demeure en une petite allée de tilleuls qui coupe transversalement mon jardin, et il emplissait le silence de la nuit et de la campagne de sa voix limpide et éclatante. Oh Virgile, comment as-tu pu, toi l’homme