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Page:Emile Littre - Etudes et glanures - Didier, 1880.djvu/445

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des Géorgiques, faire un chant de deuil, miserabile carmen, de ces sons si glorieux ?

A la ville, le temps était moins réglé. La journée avait des allants et venants et des dérangements imprévus. Mais, le soir, je redevenais mon maître complètement ; ma nuit m’appartenait, et je l’employais exactement comme à Ménil-le-Roi ; nuits d’hiver où manquaient et mon rossignol familier, et la vue de la campagne, et l’horizon étendu, mais qui avaient leur silence même dans Paris, alors que vers deux ou trois heures tout s’y taisait et qui se passaient l’une après l’autre dans le recueillement du travail.

Mon ami M. Barthélémy Saint-Hilaire, dont les habitudes laborieuses ne sont pas moindres que les miennes, les a toutes différentes. Hiver comme été, il se lève de grand matin et se couche de bonne heure. Aussi ai-je dit souvent en plaisantant que, si nous habitions la même maison, nous nous rencontrerions sur l’escalier. lui se levant et allant à sa besogne, moi me couchant et quittant la mienne. Plus heureux que moi, il jouit d’une verte et robuste vieillesse, qui n’a rien changé à ses heures d’activité et qui lui permettra de mener à bonne fin sa grande traduction d’Aristote. A la vérité, il est mon cadet de quatre ans et demi et il y a quatre ans et demi j’étais encore assez vaillant, quoique moins que lui. J’espère que cet intervalle de temps ne lui apportera aucun dommage, et qu’il restera un des privilégiés de la vieillesse. Certes, je lui envie ce bien-être du grand âge ; mais je serais bien chagrin si, par quelque méchant tour de la nature, il cessait de mériter que je lui porte ce genre d’envie[1].

Depuis 1860 jusqu’au terme de l’impression, c’est--

  1. M. Barthélémy Saint-Hilaire est mort le 24 novembre 1896, âgé de quatre-vingt-onze ans, et ayant travaillé jusqu’à son dernier jour. La traduction d’Aristote, dont il est parlé plus haut, était terminée depuis quatre ans. (Note de l’éditeur, 1897)