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si l’on remanie jamais mon dictionnaire en une seconde édition[1]

Je ne sais qui a prétendu qu’on pouvait penser du mal de soi, mais qu’il ne fallait jamais en dire, vu que d’autres s’en emparaient sans ajouter les circonstances atténuantes. Je ne suis de cet avis ni en théorie ni eh pratique. Le mal que je dis de moi, il ne me chaut qu’on le répète, non par dédain du qu’en-dira-t-on, mais par retour sur moi-même ; car ce que je cherche surtout en le disant, c’est de m’inculquer plus péremptoirement la nécessité morale où je me crois de me prémunir, de propos délibéré, contre mes insuffisances de toute nature. Appliquée à mon dictionnaire, cette critique de moi-même montre que je ne conçois mon plan qu’au fur et à mesure, que l’exécution est entachée du même vice, et que je n’arrive à la plénitude de mon idée et de mes moyens qu’à l’aide de tâtonnements qui se cherchent et se rectifient l’un l’autre. Du reste, cela n’est qu’un cas particulier du défaut général de mon esprit, défaut que j’ai décrit en mon livre de Conservation, Révolution et Positivisme,. 2e édition, page 492, et qui consiste essentiellement à ne rien deviner, à ne rien savoir par intuition et, pour ainsi dire, d’avance, et à être contraint de tout apprendre par expériences chèrement achetées et par tentatives redoublées.

Heureusement, dans la grande affaire de mon dictionnaire, les bonnes parties de moi-même résistèrent au découragement, et, retournant le dire d’Ovide : Video meliora proboque, Deteriora sequor, elles réduisirent les mauvaises à l’impuissance. Aussi quand, en 1865, j’écrivis sur un dernier feuillet ce que j’ai rapporté plus haut, ma conception avait

  1. En 1877, M.Littré publia un nouveau supplément de 375 pages. (note de l'éditeur, 1897)