Page:Emile Littre - Etudes et glanures - Didier, 1880.djvu/456

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paquets, en tout deux cent quarante mille feuillets. C’était la fin du dictionnaire, et représentait à peu près l’équivalent de ce qui était déjà imprimé et sauvé des dangers éventuels. Ces caisses furent remises à un emballeur, qui les prépara comme si elles devaient traverser la mer et aller en Amérique ou aux Indes, c’est-à-dire résister à la longueur du temps, à l’humidité et à toutes les intempéries. Elles n’avaient pas à voyager si loin. Je les emportai à Ménil-le-Roi ; et les déposai dans la cave. Là, l’incendie ne les menaçait pour ainsi dire plus. Je n’avais de voisin que d’un côté, ce qui diminuait de moitié le risque ; j’habitais seul ma maison, et encore seulement durant la belle saison, et j’évitais les dangers de l’hiver, où les feux sont particulièrement fréquents. Enfin, si le malheur voulait qu’elle brûlât, cette maison, peu haute et de petites dimensions, ne causerait pas par sa chute l’effondrement de la cave. Les caisses y restèrent plusieurs années. L’emballeur n’avait pas surfait la valeur de son opération, et les papiers qu’elles contenaient ne souffrirent en rien du long séjour qu’elles y firent. Je les tirais l’une après l’autre au fur et à mesure dès besoins de l’impression. C’est ainsi que j’arrivai au milieu de la terrible année 1870.

Après les premières batailles perdues, qui n’annonçaient que trop l’insuffisance de notre gouvernement et de nos chefs militaires, je compris aussitôt que la guerre allait arriver sous les murs de Paris ; car on savait dès lors que M. le maréchal Bazaine, par une incroyable et impardonnable négligence, s’était laissé couper et cerner dans Metz, et l’on pensait que M. le maréchal de Mac-Mahon, avec l’armée du camp de Châlons, battrait en