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retraite, afin de la conserver pour la défense de Paris, qui, sans elle, serait infailliblement investi et séparé du reste de la France. Je me persuadai donc que les environs de Paris seraient le théâtre d’actives opérations militaires, et que les villages du rayon, entre autres Ménil-le-Roi, étaient exposés à devenir des positions prises et reprises et à être incendiée. Avec ces perspectives telles que je me les figurais, et malgré les poignantes angoisses du malheur public, je gardai le souci de mes caisses, comme je le devais ; car je n’étais pas seul intéressé à leur conservation, la maison Hachette l’était aussi. Je pris ce qui m’en restait, et les emportai à Paris, avant l’investissement.

Eh bien, je m’étais trompé ; mes caisses auraient pu rester à Ménil-le-Roi, sans courir le risque de périr avec le village qui leur servait d’asile. L’armée de Châlons, par une inspiration partie des Tuileries et digne complément s de toute la stratégie d’un gouvernement affolé, alla se faire prendre en masse à Sedan, hommes, chevaux, fusils, canons, généraux, empereur, et l’on ne se battit pas dans la campagne autour de Paris. Ménil-le-Roi ne fut pas occupé par les Allemands. Ils n’y firent que des allées et venues. Dans un de leurs passages, remarquant une maison qui était inhabitée, ils en enfoncèrent la porte et y pénétrèrent. Là se borna le dégât. On me raconta même qu’entrés et voyant mes livres, ils dirent « Belle bibliothèque. » Le fait est qu’y revenant neuf mois après, en mars 1871, je retrouvai tout intact ; même le vêtement que j’avais quitté à la hâte en partant était encore sur mon lit, dans ma chambre à coucher, qui était aussi, je l’ai dit, mon cabinet de travail. Au premier moment, les habitants de Ménil--